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21/04/2016

Entreprise libérée ou « libérante »?

Enjeux et perspectives d’un projet humain innovant au sein du groupe DECATHLON.

Entreprise libérée ou « libérante » ?
Betton-Rennes, vivre le sport sur un Village DECATHLON

Il y a beaucoup à lire, à voir et à entendre sur le concept d’entreprise libérée. Et pourtant, est-ce l’entreprise ou bien plus les salariés qu’il faut libérer ? On parle beaucoup de la nécessité de faire évoluer le modèle managérial « traditionnel », mais les entreprises qui ont vécu une forme de libération ont-elles un véritable modèle à proposer ou seulement des récits singuliers d’entrepreneurs avant-gardistes qui ont su prendre le risque d’abandonner une partie de leur pouvoir à leurs salariés ?

Autant de questions que nous nous sommes posées avant de nous engager dans une voie ou dans une autre. D’ailleurs, existe-t-il des voies sérieuses permettant de mesurer concrètement la libération des talents, de la responsabilité et des énergies ? Pas si évident de prime abord. Une chose nous semblait certaine, il fallait résoudre une équation complexe qui allierait un projet fort (la vision), un cadre clair (les règles du jeu), la liberté d’agir (la confiance en soi, dans les autres et dans l’organisation) et la responsabilité (l’autonomie dans la décision). Une fois ce postulat posé, la nécessité de disposer d’une méthode, voire d’une « technologie » comme Bernard-Marie CHIQUET se plaît à qualifier Holacracy, nous semblait incontournable.

En effet, proposer liberté et responsabilité nécessite de travailler sur l’organisation, sur le cadre de jeu, qui doit nécessairement évoluer. On ne peut pas simplement décréter la libération en multipliant le travail collaboratif et en mettant des canapés dans les bureaux, il faut nécessairement pousser plus loin la réflexion sur la structure-même de l’organisation ; Définir un cadre clair, strict mais agile qui permette à chacun d’appréhender et d’assumer pleinement son périmètre de responsabilité, puis surtout de le faire évoluer en temps réel au gré des besoins du service.

Entreprise libérée ou « libérante » ?
Les Saisies, randonnée en équipe vers le col de la Croix de Pierre : le ciel est dégagé pour l’instant, mais pourrons-nous parvenir à l’objectif ?

Nous sommes bientôt tellement immergés dans le processus que, probablement, nous ne nous rendons pas compte du chemin que nous parcourons… Cela est d’autant plus significatif qu’avec du recul, nous pouvons raisonnablement penser que nous avions déjà une longueur d’avance dans notre management avant de nous engager dans cette nouvelle ère…

Entreprise libérée ou « libérante » ?
Bordeaux-Mérignac, mars 2015, premier contact avec Holacracy

Même prévenus, nous vivons les hauts avec grand plaisir, puis les bas avec quelque souffrance, un peu comme dans toute bonne compétition sportive. Nous intégrons, nous progressons, nous adaptons, nous reconstruisons notre service en mode holarchique. Au gré de ce cheminement, il faut reconnaître que le switch est moins évident pour les « anciens patrons », forcés d’abandonner une partie de leurs prérogatives, que pour les équipes opérationnelles qui, pour la plupart, prennent à bras le corps leurs autorités, savourent l’autonomie, mais aussi découvrent les difficultés de l’action en responsabilité. Il est d’ailleurs probable que tous les Hommes ne sont pas construits pour assumer de but en blanc une responsabilité pleine et entière sur un domaine d’action, ou tout au moins que l’accoutumance à ces nouvelles autorités s’apprécie diversement selon les personnalités. Il est cependant certain que les lignes bougent, qu’un vent de liberté et de responsabilité souffle progressivement sur le groupe, que les tensions jaillissent puis font débat, que le processus entre en jeu et que les problématiques saillantes trouvent réponses plutôt rapidement.

Entreprise libérée ou « libérante » ?
Paris CDG, Juillet 2015, création de quatre sous-cercles

Au gré de la restructuration de notre organisation, les petits pas s’additionnent, nous apprenons à renoncer à une perfection parfois intouchable, ou vraiment trop lointaine. Chacun s’acclimate, apprend le respect des autorités de l’autre, y met de temps en temps les pieds puis les retire, conscient qu’il est en train de renouer avec un fonctionnement ancien qui progressivement s’efface.

Il faut avouer également qu’il persiste une forme de retenue, comme une réminiscence du système passé, qui empêche parfois certains sujets d’être apportés à la table des discussions, alors que le processus encourage à consigner et à traiter toute tension. Le scepticisme face au changement et aux particularités de la méthode fait aussi son œuvre, le doute s’installe parfois, les esprits chagrins freinent ou adaptent, s’absentent, mais le groupe avance et les résultats ne faiblissent pas. Certains sont conquis, d’autres rassurés, une partie reste sceptique, nous ne sommes pas encore totalement acquis à la cause holacratique. L’agilité a certainement un prix, celui de la patience, une forme de paradoxe auquel il faut se résoudre.

En fin d’année, le sujet des évaluations et des rémunérations se profile. Nous ne pouvons pas nous exonérer d’une évolution de nos pratiques en la matière, au risque de remettre en cause la démarche de responsabilisation engagée : nous innovons en mettant en place une auto-évaluation de la performance et donnons la main à nos collaborateurs sur 50% de leur réévaluation salariale. Le système interpelle quelque peu mais les lignes bougent et finalement, nous aboutissons sur des décisions globalement assez cohérentes.

Les 12 mois de pratique se profilent déjà (ou enfin), nous ne sommes pas au bout de nos peines, nous l’imaginions et cela se confirme. Nous nous félicitons d’avoir engagé cette démarche dans une période plutôt faste, avec une équipe saine, ce sont des facteurs clés de succès, nous le confirmons. La formation se poursuit encore car la maîtrise de la méthode n’est pas uniforme, il faut persévérer, expliquer, convaincre. Les réunions de triage et de gouvernance se succèdent à un rythme adapté, nous maîtrisons les conférences téléphoniques qui deviennent un réflexe hebdomadaire.

L’heure du bilan n’a pas encore sonné car le bout du chemin n’est pas encore en vue, probablement faudra-t-il encore une petite année pour évaluer objectivement notre parcours. En l’état, le groupe n’est pas totalement conquis, même si une majorité de collaborateurs s’exprime en faveur de la poursuite de l’aventure. Il nous faut continuer à former, savoir aussi nous détacher de la méthode, sans la dénaturer, mais en réalisant les adaptations nécessaires à la motivation la plus complète de chacun ; Savoir aussi ne pas trop nous concentrer sur la technique que nous maîtrisons de mieux en mieux, mais bien sur nos objectifs, sur notre performance, sur le progrès.

On peut déjà dire qu’il faut reconnaître à Holacracy un intérêt majeur, celui de bousculer l’organisation et les personnalités. Plus rien ne sera plus comme avant après l’expérience, nous poursuivrons ou adapterons, mais il sera délicat de revenir strictement au management conventionnel que nous avions appliqué et respecté depuis tant d’années. Peu à peu, les rôles ont pris le pas sur les missions, sur les fiches métier, et le vocabulaire holacratique se fond doucement dans nos discussions. Il nous faut traiter la tendance à moins communiquer directement, à une forme de repli individuel, et remplacer avantageusement les entretiens individuels par des réunions collaboratives, ce qui ne constitue pas un réflexe immédiat et naturel. Il faut aussi continuer à collaborer avec d’autres services internes en mode plus ou moins conventionnel, la gymnastique est parfois délicate, mais Holacracy permet toutes les adaptations, tous les encodages…

La conclusion de ce témoignage ne peut donc constituer un épilogue car l’aventure n’est pas finie. Nous devons continuer à explorer, à adapter, à vérifier que le changement de paradigme managérial a du bon, ou tout ou moins beaucoup plus d’intérêts que d’inconvénients, qu’il ne perturbe pas plus les équipes qu’il ne les libère, que les bénéfices se font sentir, que l’ancienne tête de notre pyramide hiérachique devenue holarchie a bien réussi à lâcher prise et à construire son leadership par d’autre biais que la contrainte de la fonction. Quoi qu’il arrive, l’expérience est extra-ordinaire au sens où elle créé une véritable rupture avec les usages, et c’est en la racontant autour de nous que nous en prenons le plus conscience.

Pour aller plus loin : Interview de Nicolas Ochem.

Auteur

Bernard Marie CHIQUET

Il a été plusieurs fois entrepreneur et dirigeant de grandes entreprises : Executive Director chez Capgemini, Senior Partner chez Ernst & Young, Président-Fondateur de Eurexpert. Dans un deuxième volet de sa carrière, il a acquis une compétence d’executive coach (HEC), de médiateur (CAP’M) et coach en Holacracy® depuis 2011 et Master Coach depuis Janvier 2013, le plus haut niveau de certification.

Durant toutes ces années en tant que dirigeant, il a constaté que les organisations étaient sources de beaucoup de gâchis d’énergie et humain. “Comment avoir une structure organisationnelle simple, explicite, sans jeux politiques et de domination, qui s’adapte aussi vite que le changement lui-même et permet à l’être humain de libérer son potentiel ?” C’est pour répondre à cette question et trouver des alternatives au modèle hiérarchique pyramidal qu’il a fondé l’institut iGi en 2007 (aujourd’hui renommé Nova Consul), First Holacracy® Premier Provider depuis 2010.

Aujourd’hui formateur, consultant en organisation, coach, conférencier, professeur à l’IAE Lyon School of Management (Université Jean Moulin Lyon III) et intervenant à HEC Executive Education, centré sur l’évolution des modes de gouvernance et le leadership, Bernard Marie CHIQUET a crée le Management Constitutionnel®, aboutissement de ses recherches, pour apporter des solutions concrètes, sortir du statu quo et libérer les organisations.

 

 

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